Vivre et subir : sur les traces de la Grande armée

En Autriche, Vienne se nourrit des vagues successives de migrations venues tant de l’espace germanophone que de Hongrie ou de Bohème, donnant naissance à une ville plurielle, carrefour de cultures et d’influences, mais sévèrement corsetée par une magistrature déterminée à faire régner l’ordre et la morale à tout prix. C’est cette ville que découvre l’administration militaire française en novembre 1805 au moment de l’entrée des troupes de Napoléon.

Vienne n’étant pas destinée à être occupée à long terme, elle échappe à l’œuvre de « libération » de la France révolutionnaire et impériale – mais la seule présence des Français dans ses murs suffit à convaincre les élites de la nécessité de réformer une monarchie qui ne répond plus aux enjeux d’un monde passé de la féodalité à la modernité en une seule décennie. Ce sont les villes qui aspirent le plus à cette modernité : comme environnement, comme cadre social, comme espace en développement, par les cultures et les opinions qu’elles charrient, elles jouent un rôle considérable dans le mouvement des pensées et leur transmission.

Ce n’est peut-être pas pour rien que certains esprits n’hésiteront pas à comparer la contagion des idées subversives avec celle des maladies épidémiques. Foyers d’infection à l’hygiène douteuse, les villes ont toujours eu cette odeur de mort et de danger permanent, assimilée à celle du vice et de la perdition, insatiables dévoreuses des enfants de la campagne venus y chercher un peu de fortune. En occupant Vienne, puis d’autres cités par toute l’Europe, les troupes de Napoléon, leurs officiers et leurs administrateurs savent qu’ils doivent faire face à des défis dignes d’un siècle qui vient de naître, celui des grandes explosions sociales. Par sa figure centrale et incontournable, Napoléon, même absent, nous aide à comprendre ces phénomènes : il en est le révélateur plus que la cause.